Les pédagogues sociaux retrouvent dans tous les lieux où ils vivent de très nombreux enfants précaires. A force de les observer, nous relevons quelques caractéristiques que présentent ces publics, indépendamment de leurs spécificités culturelles ou sociales.

Parmi ces caractéristiques, ces enfants , très souvent insecures, souffrant de multiples ruptures et discontinuités, présentent ce que l'on pourrait qualifier d'hyper-exposition à la situation.

La gêne éducative et sociale

Très réactionnels, ces enfants sont fréquemment hyper-sensibles aux situations nouvelles, qu'ils rencontrent. Individuellement ou collectivement, ils interprètent toute situation  inhabituelle, comme une source d'embarras.  N'ayant eu jusqu'alors aucune possibilité d'acquérir des codes de conduite qui leur  permettraient de participer ou de s'emparer de ce type d'événements, toute leur énergie est absorbée par leur embarras. Leur excitation qui en découle a surtout une fonction de barrière, de protection, face à l'étrangeté. C'est une manière pour eux de mettre à l'écart une expérience qui les perturbe.

Cet embarras et l'agitation qui en découle, sont souvent source de conflit avec les institutions et aboutit fréquemment à des attitudes répressives de la part des acteurs sociaux présents, que ces enfants ressentent dès-lors, comme une mise à l'écart ou un rejet personnel.

Le risque est alors grand qu'ils se tiennent à l'écart de toute expérience qui pourtant devrait et pourrait les enrichir.

Nous pourrions illustrer ce phénomène par la situation souvent observée de certains enfants qui se mettent à rire nerveusement face à un spectacle qui se tient juste devant eux. La distance instaurée entre le spectateur et l'acteur sur scène, alors que l'acteur est tout de même dans le même espace; le fait qu'il essaye d'imposer cette distance par un rôle qu'il se donne, produit fréquemment chez ces enfants , une réaction défensive, qui s'avère perturbatrice. Ils essaient d'attirer l'attention des personnes sur scène, encore plus s'il s'agit d'enfants comme eux.  La logique de leur conduite est alors de faire cesser l'étrangeté, qui les accapare, d'une situation nouvelle.

Allergie à la distance

L'interprétation donnée à ce phénomène recourt souvent à la notion de fossé culturel.  Mais cette explication reste incomplète. Ce n'est pas tant la référence culturelle qui produit le trouble, mais plutôt la distance relationnelle, inexplicable pour eux, entre eux mêmes et les acteurs. Cette distance , ils ressentent le besoin de la combattre, de la mettre à mal.  Elle représente pour eux quelque chose d'anormal, à supprimer.

Il n'y a rien là de surprenant pour qui connait ce type d'enfants qui manifeste une allergie à la distance relationnelle et sociale; ils ont trop soif de proximité!

La raison pour laquelle les pratiques de la Pédagogie sociale sont particulièrement adaptées à ce public, c'est que celles ci mettent en avant des situations éducatives qui ne reposent ni sur l'étrangement , ni sur la distance.

Contre la distance et la gêne: la familiarité

Les actions, en Pédagogie sociale, comme en premier lieu, les ateliers de rue, ont comme spécificité de se dérouler dans un climat de familiarité. Elles  permettent ainsi un accès au collectif au collectif dans un environnement sécurisé.

Les ateliers de rue sont familiers, dans un premier temps parce qu'ils se déroulent dans un environnement immédiat qu'il s'agit d'aménager.  Ils sont également familiers car ils proposent des modes d'expression "naturels", basés sur l'activité dans des registres humains essentiels : les arts, les jeux, le corps, la voix, mais aussi la cuisine, le jardinage,  la discussion en groupe, etc.

Ils sont enfin familiers car ils se déroulent dans une atmosphère de proximité et d'accueil du corps et de la parole de chacun, grâce à l'action des pédagogues sociaux.

La situation produite , de cette manière se mue rapidement en relation sans butter sur les travers de rejet, de distance et d'étrangeté qui surdéterminent les actions éducatives, culturelles, sanitaires et sociales, déployées depuis les institutions.