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Nous entreprenons ici , dans un texte en plusieurs parties, de rendre compte du travail d’observation et d’analyse du développement de différentes formes de décrochage scolaire et de leurs causalités.
Comment rendre compte finement des raisons de l’augmentation du nombre d’enfants, non scolarisés ou scolarisés de manière discontinue et aléatoire, comme tous les acteurs réellement proches des familles précaires peuvent en témoigner ?
Les études sociologiques portant sur des données générales de type “macro”, échouent soit à visibiliser et identifier le phénomène, soit à en fournir un schéma explicatif, car la plupart du temps elles s’en tiennent aux données sociales vécues par les familles et les enfants concernés en omettant la question de la relation de celles-ci, avec les institutions et collectivités dédiées.
A partir de notre expérience certes locale, mais surtout globale et transversale des situations qui aboutissent aux retards de scolarisation, aux décrochages, ruptures ou aux renoncements scolaires , il nous apparaît que les progrès “de la déscolarisation” sont significativement dus à des pratiques professionnelles, institutionnelles inadaptées d’autant plus difficiles à saisir et analyser que celles-ci sont souvent invisibilisées et dissimulées par l’énoncé d’objectifs contraires, comme “faciliter la scolarité” ou “de lutte contre le décrochage scolaire”.
Nous nous proposons à travers ce texte de décrire des processus, des interactions et des représentations, en lien avec des institutions, et des pratiques professionnelles.
Comment des institutions et des collectivités qui ont la charge de rendre effectif le droit et l’obligation scolaire aboutissent-elles, parfois même à leur propre insu, à produire du décrochage ? Telle est la question essentielle pour comprendre les phénomènes en cause et la condition pour mener des actions efficaces.
Pour étudier cette question, nous allons nous attacher à analyser et illustrer trois niveaux d’observation, en ce qui concerne cette part de “production institutionnelle du décrochage scolaire » :
Les préoccupations du pouvoir exécutif sont multiples et variées et il n’est pas étonnant de voir à l’œuvre de manière concomitante des politiques qui s’annulent ou rentrent en conflit les unes avec les autres.
La meilleure illustration de ce phénomène, que Bourdieu résumait sous l’expression : « la main droite et la main gauche de l’État ») est sans doute la politique dite de “résorption des bidonvilles”, qui développe également des objectifs d’accompagnement social vers le logement, ou vers l’insertion ainsi que des objectifs éducatifs très clairs pour favoriser la scolarisation des enfants vivant en bidonvilles.
Toutes les associations, équipes et structures qui sont engagées dans l’accueil et le suivi des enfants vivant en bidonvilles peuvent attester du caractère contradictoire des politiques menées qui vise à la fois l’accès à l’inscription scolaire pour les enfants… et leur expulsion de la commune, le plus souvent dans des délais très proches.
Cette confusion au sein d’une même ligne politique entre deux objectifs contradictoires aboutit, comme nous le constatons constamment dans les communes sur lesquelles nous intervenons, à une forme de “jeu” de la part des municipalités concernées par l’installation d’un bidonville, pour retarder par tous moyens l’inscription scolaire des enfants, dans la simple perspective de leur disparition.
Ce constat pourtant vérifiable par tout observateur de bonne foi est très difficile à exprimer et à communiquer. C’est sans doute pour cela d’ailleurs que le phénomène persiste et résiste aux injonctions paradoxales des institutions de l’État.
Intéressons-nous à la difficulté de parler posément de ce constat très simple. De notre expérience, il est très difficile d’établir un dialogue avec des élus locaux ou avec les représentants des administrations qu’ils dirigent, car on butte sur une forme de défense de nature “émotionnelle”. Comment pourrions-nous, oserions nous mettre en doute la bonne foi et les bonnes intentions d’hommes et de femmes qui se dévouent à leur tâche ?
L’argument émotionnel vient ici encore empêcher toute discussion et analyse sur le fond, c’est à dire sur les faits. Cet argument “émotionnel” autour des notions de “bonne foi” et de “pureté d’intention” est déployé et mis en scène pour justement empêcher tout débat contradictoire ou analyse des phénomènes.
Énoncer le simple fait que les administrations communales déploient beaucoup d’énergie, sous forme de production de procédures inutilement compliquées, pour retarder, rendre difficile, ou de décourager les demandes de scolarisation, condamne l’énonciateur à être identifié à l’inverse, comme une personne qui cherche le conflit, la polémique et autorise les responsables à s’affranchir de toute justification ou nécessité de rendre compte des résultats de leurs propres actions.
Cette posture qu’elle soit de bonne foi ou non, est dans tous les cas bien pratique pour éviter de changer quoi que ce soit dans les situations qui nous intéressent et qui aboutissent au renoncement ou au désinvestissement pour la scolarité des publics et des familles concernées.
Il est saisissant pour des acteurs de terrain de remarquer comment des partenaires d’échelon territorial différent (commune, département, État) emploient exactement la même rhétorique pour mettre en doute la qualité d’habitant d’un territoire pour des enfants et des familles bien réelles qui vivent sur ce dit territoire de manière constante et ce parfois depuis de longues périodes.
Une formule qu’on pourrait résumer” ces gens ne sont pas plus des habitants d’ici que d’ailleurs”, peut résumer un raisonnement que nous entendons partout et tout le temps à chaque fois que nous tentons, comme acteurs locaux de faire valoir les droits des enfants et familles précaires, en particulier pour ce qui touche à la scolarité.
C’est à l’appui de ce type de formule par exemple que les services sociaux et de protection de l’enfance de notre département refusent de prendre en compte et voire de recevoir des enfants et des familles sans domicile. C’est une manière de nier à la fois la réalité de leur présence sur le territoire et même de leur attache à ce même territoire, sous la forme de relations humaines, de liens avec des personnes, des associations ou des groupes que ces familles et enfants ont pu établir.
Des progrès juridiques dans l’affirmation des droits des personnes ou familles “à la rue”, ont certes été mis en œuvre ces dernières années.
Ainsi la plupart des administrations semblent enfin admettre la notion de résidence et domiciliation administrative pour les personnes et familles mal logées.
En tant qu’acteurs engagés dans la mise en œuvre des droits pour ces familles, nous pourrions ainsi compter sur la possibilité d’obtenir, notamment par les CCAS des villes importantes, une domiciliation administrative comme un levier pour ouvrir des droits.
Malheureusement les constats sur la mise en pratique de ce droit à la domiciliation laissent de la place à de nombreux biais, subterfuges ou lacunes quant à la mise en œuvre.
En particulier et comme il est fréquent en matière de droits de personnes ou groupes précaires, cette possibilité de domiciliation est régulièrement utilisée ou invoquée pour faire obstacle à des droits fondamentaux qui sont sans lien avec cette mesure.
Ainsi nous rencontrons de plus en plus d’employés d’administration communale qui s’opposent ou retardent des demandes de scolarisation d’enfants vivant sur leur territoire au motif que les parents n’y ont pas de domiciliation administrative et qu’il faudra attendre qu’ils en obtiennent une.
Parfois même quand les familles viennent d’un autre point du territoire national et qu’elles sont déjà titulaires d’une domiciliation administrative sur une autre commune, on utilise ce fait pour réfuter l’obligation scolaire.
De telles attitudes pourraient paraître peu dommageables s’il était aisé d’établir une domiciliation administrative ; c’est ce que laisse penser la loi qui en établit le droit assez largement dès lors qu’une personne sans domicile peut établir un lien quelconque avec le territoire de la commune où elle a trouvé abri.
Comme toujours la clarté des lois est vite encombrée de règles plus ou moins légales, implicites, verbales, ajoutées par les administrations municipales pour en restreindre le champ.
Ici pour prendre en compte une demande de domiciliation administrative on va réclamer aux personnes ou familles des attestations d’acteurs sociaux, associatifs ou caritatifs affirmant l’existence d’un lien de celles-ci avec le territoire.
Ailleurs on va demander des documents aberrants dans ce cadre, ou impossibles à établir comme des attestations d’hébergement ou des preuves de résidence sur la commune.
Certaines communes refusent à l’inverse toute attestation en provenance de structures sociales tierces et indépendantes. Certaines invoquent également les changements récents de la loi qui les autorisent à vérifier par tout moyen la présence des familles et personnes sur leur commune, pour charger leur police municipale d’un contrôle dont les modalités floues et ouvrent la voie à tous les abus.
Plus simplement encore, certaines communes exigent à l’appui des demandes de domiciliation des documents non prévus par la loi, difficiles ou impossibles à obtenir ou à détenir pour des familles à la rue ou récemment arrivées sur le territoire national.
Pour finir les délais d’instruction sont dans les faits à la discrétion des communes et sont fréquemment dissuasifs : de quelques semaines à plusieurs mois durant lesquels les démarches qui ont été subordonnées à la domiciliation seront justement impossibles à réaliser. C’est là un moyen très simple pour retarder des inscriptions scolaires, en attendant ou espérant le départ des familles et enfants concernés ou pour l’obtention de tout autre droit.
Pour résumer les obstacles aux droits fondamentaux comme l’obligation scolaire qui se retrouvent mis en suspens de manière discrétionnaire par les municipalités, nous devons porter notre attention sur l’accumulation de règlementations qui restent dans le domaine informel et “verbal”.
Les demandes illégitimes de document, les refus de prendre en compte des dossiers ou même de donner des dossiers à remplir sont d’autant plus fréquents que ces limitations ne sont énoncées qu’à l’oral, toujours en invoquant la Loi, et ne laissent aucune autre trace que le possible témoignage des personnes intéressées.
Cette “culture verbale du refus” à prétexte juridique est malheureusement très commune au sein des administrations territoriales, où des employés souvent peu formés se contentent de relayer des affirmations tout aussi informelles qu’eux-mêmes ont entendu de la bouche d’élus ou de chefs de service.
Une autre manière de dénier l’accès à la scolarité ou à la simple admission scolaire est permise par la double compétence des communes et des professionnels de l’Éducation nationale dans ce domaine.
En France, un directeur d’école, a tout à fait le droit si ce n’est le devoir d’inscrire sous sa propre autorité un enfant dans son école dès lors qu’il a la certitude que l’enfant vit sur le territoire de la commune.
Une difficulté administrative provient du fait que l’inscription en Mairie est également indispensable puisque le Maire est comptable de recenser les enfants de sa commune soumis à l’obligation scolaire.
Il y a donc un cumul d’autorité, mais du point de vue du droit et de la loi, l’inscription directe à l’école demeure dans tous les cas, possible.
Dans la réalité, les relations étroites entre les municipalités et l’administration scolaire, pour l’instruction primaire, ont imposé partout des procédures admises par les différents protagonistes, en vue d’organiser la scolarisation. Il est de coutume que la famille inscrive d’abord l’enfant à la Mairie qui procède ensuite à l’affectation vers un établissement scolaire.
Cet usage ne représente aucun problème pour les familles qui vivent dans des conditions de confort et de normalité administrative ; voire ces usages peuvent faciliter une administration efficace.
Toutefois en ce qui concerne les familles précaires, mal logées, hébergées chez des tiers, vivant en squat ou bidonville, ou sans abri, cet usage destitue dans les faits les directeurs d’établissement scolaire de leurs droits et devoirs pourtant inscrits dans la Loi.
Ce qui est surprenant c’est que la plupart des personnels de direction des établissements primaires (enseignement préélémentaire et élémentaire) ignorent ou préfèrent ignorer leur autorité en ce domaine par habitude ou souci d’entretenir de bonnes relations avec l’échelon municipal dont dépendent beaucoup de ressources nécessaires à la vie et au bon fonctionnement de l’école.
C’est une forme d’autolimitation de l’autorité propre à sa fonction qui n’est pas rare dans la culture professionnelle de l’Éducation nationale où on préfère toujours prendre le moins de risques possibles et surtout pas celui de déplaire à sa municipalité.
Du fait de ce contrôle implicite, les communes trouvent tout le loisir pour retarder, rendre difficile l’inscription ou la reprise scolaire des enfants en situation de précarité.
On peut toujours retarder une admission scolaire et le plus étonnant c’est qu’il ne semble pas y avoir de limite ou encadrement juridique à ce pouvoir de différer, qui reste ainsi à la discrétion des administrations.
Différer l’admission scolaire d’un enfant précaire n’apporte dans les faits que des bénéfices. La famille peut s’éloigner du territoire de la commune ; ou ne plus donner suite après un certain nombre de démarches infructueuses à sa propre demande.
Pour des élus municipaux, élus souvent avec une faible marge de suffrages d’avance, l’enjeu électoral représenté par l’accueil d’enfants étrangers ou sans ressources est considérable.
Il n’y a rien d’étonnant à ce qu’une sorte de “pente naturelle” pousse perpétuellement ces mêmes élus à contrôler, limiter, complexifier l’accueil de nouveaux élèves dans leur commune. L’enjeu est évidemment également économique.
Dans les écoles, l’attitude est plus complexe. Les enseignants comme les directeurs d’école n’apprécient guère les arrivées de nouveaux élèves en cours d’année, car cela charge les classes sans crédit ou encadrement supplémentaire. Les enseignants, assez naturellement, redoutent l’arrivée de nouveaux élèves comme une source de travail supplémentaire et un alourdissement de la gestion du “groupe-classe”.
Par ailleurs l’administration de l’Éducation nationale au niveau élémentaire et départemental (les circonscriptions) est très soucieuse de la qualité des relations avec les municipalités et partage par ailleurs avec celles-ci un certain souci de limiter les effectifs pour des raisons budgétaires, cette fois ci du côté du Ministère.
De ce fait les municipalités peuvent compter sur une certaine adhésion de principe des équipes scolaires et de l’Éducation nationale en général pour retarder et limiter l’inscription scolaire de nouveaux enfants.
Toutefois, de notre expérience, quand les enfants précaires nouveaux arrivants, sont reçus dans les écoles, ils sont le plus souvent très bien accueillis et bénéficient même d’une mobilisation certaine et d’un soin particulier tant par les enseignants, que parfois par les parents d’élèves. Nous pouvons même témoigner de mobilisations régulières pour améliorer les conditions de vie de ces enfants, y compris en dehors de l’école et de véritables actions de solidarité envers les familles.
Si la confusion des responsabilités entre les communes et les directions d’école joue en défaveur des enfants en situation de précarité, les relations et accords entre les municipalités et les services de l’Éducation nationale sont également propices à produire des empêchements et des difficultés.
Il y a quelques années, nous avons été témoins d’un accord plutôt étonnant entre une municipalité et la direction académique pour renvoyer les enfants vivant en hôtel social sur le territoire de ladite commune vers des communes extérieures et éloignées, en impliquant des temps de déplacement pour se rendre à l’école, parfois de plusieurs heures, chaque jour.
Nous sommes également informés de pressions reçues par des directeurs d’école, par leur propre hiérarchie, pour les dissuader d’accueillir des enfants du territoire tandis que la municipalité cherche à gagner du temps.
Des services municipaux décident ainsi d’ajourner des demandes d’inscription scolaire en bonne et due forme au motif que le service du 115 a déplacé une famille (avec un engagement limité à deux semaines) vers un hôtel social d’une autre commune.
Ce qui est intéressant dans ce dernier cas est un phénomène d’explication des décisions prises en invoquant toujours l’autorité d’un partenaire tiers : l’Éducation nationale, les services du 115, etc.
L’accueil d’enfants sans scolarité antérieure sur le territoire et ne parlant pas français, dits « allophones » donne lieu à la mise en œuvre de modalités adaptées pour leur permettre d’acquérir une maîtrise rapide de la langue.
Ce dispositif coordonné au niveau académique, par l’Éducation nationale, par l’intermédiaire du CASNAV, donne pourtant lieu à de nouvelles occasions de retarder le projet de l’enfant et de la famille d’intégrer réellement une école.
En effet, il faudra d’abord pour les familles concernées obtenir un rendez-vous dans une ville éloignée pour que l’enfant passe des tests scolaires spécifiques, tenant compte de sa langue.
La fixation de ce rendez-vous peut générer des délais parfois importants et la capacité des familles à amener leurs enfants dans un endroit inconnu, à une date lointaine, en particulier quand ces familles sont précaires et sans domicile, est aléatoire. Le manquement du rendez-vous entraîne évidemment l’ajournement concret du projet de scolarisation tant que la famille n’a pas repris contact, ni obtenu un autre rendez-vous.
La possibilité pour les enfants allophones d’être accueillis en séquences, dans une classe spécialisée, génèrera de nouveaux retards ; il faudra identifier la classe et l’école où « il y a de la place » et celles-ci peuvent être éloignées du domicile ou de l’hébergement familial.
L’attribution même de cette place peut prendre des semaines, voire un ou des mois, quand les congés scolaires s’intercalent.
Enfin, l’école et la classe d’accueil étant identifiées, il faudra encore obtenir un premier rendez-vous préalable avec la direction ou l’enseignant spécialisé.
Au final, la mise en œuvre d’un dispositif objectivement dédié à l’intérêt de l’enfant en demande de scolarisation, constitue fortuitement une suite d’occasions de retards considérables et de risques de décrochages pour la famille (dépassée par ces démarches et difficultés), qui compromet la réalité de l’insertion scolaire à terme.
Là encore, l’obligation de passer par ce dispositif d’évaluation et d’orientation pour les enfants et les familles les plus démunies face aux démarches administratives, et pour l’identification des structures, permet à la Commune, comme aux écoles de proximité de mettre en suspens l’obligation scolaire jusqu’au terme des démarches.
Les trois niveaux d’observation et d’analyse que nous avons identifiée, qui expliquent et modélisent la difficulté de très nombreux enfants pauvres et précaires, pour accéder à une scolarité suivie , sont souvent négligés ou minimisés couramment.
On a coutume de relativiser les dégâts des refus de scolarisation, de « parcours du combattant administratif », ou des ruptures après quelques semaines d’école, sur le motif qu’il ne s’agirait en quelque sorte , que d’une difficulté unique vécue dans le parcours scolaire et éducatif de l’enfant.
L’idée générale bien que rarement énoncée qui justifie la perpétuation des obstacles à l’accès à l’école pourrait se résumer ainsi : « Certes c’est dommageable de perdre du temps avant de permettre à un enfant précaire ou mal-logé d’accéder à l’école, mais ça n’arrivera qu’une fois ; après tout ira bien ».
Or, cette opinion est malheureusement inexacte pour de très nombreux enfants qui vont vivre et revivre les mêmes obstacles et les mêmes difficultés régulièrement. Il en est ainsi des enfants vivant en bidonvilles ou squats, qui d’expulsion, en expulsion, finiront par ne plus réclamer une école où de toute façon ils n’iront jamais ou si peu de temps.
La même expérience est également vécue pour les enfants et les jeunes vivant en hôtels sociaux, qui sur le temps de leur enfance connaîtront de nombreux transferts, déménagements, et déplacements. Il n’est pas rare que nous rencontrions des enfants qui ont connu jusqu’à 20 hôtels sociaux différents, dans différentes communes, … à l’âge de 11 ans.
Même pour des enfants hébergés chez des tiers, ou simplement mal logés, le scénario de devoir recommencer régulièrement des demandes de scolarisation dans des communes où ils ne sont pas connus, est fréquent.
Ainsi, notre système institutionnel est une fois de plus déficitaire dans sa manière de se représenter les problèmes sociaux et éducatifs vécus par des familles dans la précarité.
Chaque institution, chaque collectivité, chaque établissement raisonne toujours sur un mode « ternaire » qui ne tient aucun compte de l’analyse de la réalité et de l’histoire vécues par les enfants et familles.
Tout démarre et redémarre régulièrement pour toutes ces instances par un « point zéro » qui est celui de la rencontre et de la découverte de la situation.
Ce point zéro en quelque sorte autorise de prendre du temps pour connaître la situation, analyser, traiter la demande, « à partir de zéro ».
De ce fait, il n’y a plus rien de choquant, semble-t-il à retarder l’entrée effective dans un établissement scolaire… même si c’est la quatrième ou cinquième fois que cela se répète pour un même enfant dans l’histoire de son parcours éducatif, dès lors haché et fragmenté.
Qui veut comprendre le phénomène de la déscolarisation partielle ou totale de franges grandissantes de la population enfantine, se doit d’étudier l’économie fine de la production des freins à la scolarisation. Au-delà des grands principes et des lois, sans cesse réaffirmées, les procédures d’application mises en œuvre sont aussi étonnantes que discrètes. Elles produisent à une échelle non négligeable des retards et des échecs répétés de scolarisation qui pèsent énormément sur les destins scolaires des enfants et jeunes concernés.
Ce qui est évidemment le plus choquant c’est quand la production de ces freins et obstacles, propices au décrochage scolaire provient justement des administrations et collectivités qui sont censées lutter contre ce phénomène.
L’analyse fine des motivations et justifications des acteurs institutionnels illustre des problèmes profonds de la compréhension du sens de l’action sociale, dans notre pays, pour les acteurs eux-mêmes, administratifs, éducatifs ou sociaux “de première ligne”.
Des logiques institutionnelles et idéologiques profondes “surdéterminent” en quelque sorte les conduites et les réponses de ces acteurs au quotidien, qui, parfois à leur insu, reproduisent des situations d’exclusions et de discriminations par impuissance ou ignorance.
En quelque sorte, nous pourrions dire que les enfants exclus, privés, ou empêchés d’accéder à une scolarité et un accompagnement éducatif stable, nous apprennent moins sur eux-mêmes, sur leurs éventuels problèmes sociaux ou culturels… que sur le fonctionnement de nos propres institutions.
A l’observation de leur expérience, des freins, des empêchements qu’ils rencontrent, nous découvrons des dysfonctionnements et lacunes dans l’adéquation des structures et administrations face aux problèmes sociétaux actuels.
Pour autant, la situation des enfants en situation d’exclusion scolaire et éducative pourrait être améliorée rapidement par l’affirmation politique de quelques principes conformes à la fois à notre Droit et aux conventions internationales sur les droits des enfants.
De notre point de vue et à partir de notre expérience, nous identifions trois mesures immédiates et utiles pour lutter contre une véritable “précarité éducative », produite par nos modes de fonctionnement administratifs actuels :
1- Imposer la scolarisation immédiate de tout enfant, résidant sur le territoire d’une commune quel que soit son statut d’habitation
2- Reconnaître l’autorité des acteurs sociaux de terrain, tels que les centres sociaux pour attester de la présence d’une famille sur le territoire
3- Garantir aux enfants qui ont été accueillis dans une école, la continuité de leur scolarité dans le même établissement scolaire, s’ils le désirent, même si les circonstances éloignent leur famille dans une autre commune.
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