Le Beau est partout ; il n’est pas réellement là où nous l’attendons ; là où nous l’avons rangé et le plus souvent enfermé.

Pour nous qui savons retrouver sur leurs lieux de vie , les enfants des hôtels sociaux, des bidonvilles, des squats, hébergés ou mal logés…

Pour nous qui savons rencontrer les enfants en mal d’école, en mal de vacances, en mal de loisirs , sans suivi de santé…

Nous qui savons retrouver les enfants nourris comme ça leur vient ou arrive, ou comme ils peuvent…

Nous qui savons rencontrer les enfants qui poussent comme ça vient, là où ils se retrouvent dans toutes les friches urbaines, sociales, économiques, administratives, où ils sont relégués…

Nous le savons : le Beau est ailleurs.

Le Beau n’est pas dans les beaux endroits ; le Beau est toujours un choc, un accident, un impact.

Il nous bouscule au coin de la rue, il nous perturbe sur les trottoirs ; il nous interpelle dans les transports.

Il nous tombe dessus un jour de pluie, un soir d’ennui.

Le Beau est toujours nouveau, comme dirait Baudelaire ; comme un sourire qu’on n’attend pas, comme une relation qu’on n’attend plus, comme des mots qu’on n’entend plus.

Pour nous, en pédagogie sociale, le Beau est là où notre chemin croise les personnes les plus authentiques de notre époque. Celles qui vivent ce qui arrive de nouveau, en plus clair, en plus fort.

Nous ne travaillons pas dans les beaux endroits, comme nous l’affirmons régulièrement ; mais nous travaillons dans les endroits où il est beau d’être.

Les enfants avec qui nous somme sont toujours ouverts et prêts à l’expression artistique. Ils ne le sont pas parce que ce seraient juste des enfants. Ils ne le sont pas par goût, éducation ou culture. Ils le sont car ils sont à la recherche de quelque chose de vrai, quelque chose qui tranche. Ils ont besoin de rupture dans leur perception du Monde et dans le quotidien qui les assomme.

En Pédagogie sociale, l’expression artistique est un des deux grands vecteurs de notre action.   Toutes nos activités, lors des ateliers de rue, lors de nos accueils, visent à pratiquer ce que nous appelons les « langages ». Et pour nous ces langages sont nombreux : danse, chant, arts plastiques, théâtre, écriture, poésie, musique, expression corporelle, etc.

Que peut apporter une organisation en Pédagogie sociale aux groupes d’enfants et aux familles, exclues que nous retrouvons ? Nous sommes bien conscients que les petits comme les grands ne nous ont pas attendu pour jouer , travailler ou s’exprimer.  Nous ne sommes ni des sauveurs, ni des missionnaires, ni des éducateurs au sens étriqué du terme.

Nous ne savons apporter que deux seules choses et nous le faisons en toutes occasions : l’organisation et la capacité d’expression.

L’organisation c’est d’abord la nôtre, avec le moins de hiérarchie possible, avec notre collectif hétéroclite, notre savoir vivre communautaire, mais avec notre discipline stricte et bien pensée.

Le pouvoir de s’exprimer que nous souhaitons partager, nous le transmettons par l’exemple. A la différence du prof, du coach, le pédagogue social, commence toujours par pratiquer ce qu’il propose. Ainsi, sur les ateliers de rue, dans les quartiers, la rue et les bidonvilles, nous chantons, nous dansons, nous faisons de la poésie, du théâtre, des arts plastiques.

En pédagogie sociale, comme en Pédagogie Freinet, la création, la production d’œuvres est immédiate ; aucun enseignement préétabli, aucun préalable à acquérir, aucun programme à suivre. « Les aigles ne prennent pas l’escalier », tel est le mot d’ordre que nous empruntons à C. Freinet. Nous commençons toujours par la fin, c’est-à-dire par la finalité sociale, la production d’une œuvre, d’une performance, d’une trace.

Les apports techniques, les formations arrivent toujours pour nous en chemin. Ainsi nos jeunes chanteurs et danseurs de la troupe Aven-savore se forment perpétuellement à de nouvelles techniques. Mais ils le font toujours sans jamais s’arrêter de se produire. Il n’est question chez nous ni d’étapes, ni de niveaux, ce qui tranche évidemment avec la pédagogie traditionnelle (ou nouvelle) des institutions ordinaires de la Culture. Et évidemment chez nous, tout est gratuit, immédiat, inconditionnel et collectif.

Chaque enfant, chaque adulte est pris et appelé à nous rejoindre comme un auteur, qui seul s’autorise, en s’appuyant sur l’organisation collective.

Nous apprenons, nous nous développons, nous prenons du pouvoir et progressons par la pratique et la pratique seule.

Les ressorts de l’expression artistique en Pédagogie sociale, reposent ainsi sur trois principes nouveaux :

• Le principe de décloisonnement. L’expression artistique provient et se nourrit de tous les décloisonnements : décloisonnement des lieux de culture, décloisonnement entre les âges, les statuts, les compétences ; décloisonnement entre les lieux de vie, de production de culture, et de savoirs…
• Le principe de la grande échelle. L’expression artistique est collective c’est-à-dire qu’elle s’autorise à produire à grande échelle. Nous visons le spectacle, l’œuvre aboutie. Nous nous destinons à un public. Nous nous adressons à tous et nous portons toutes sortes de messages.
• Le principe du bousculement. Les œuvres produites doivent produire de la rupture, du changement. Elles doivent surprendre, interroger les idées reçues. Elles doivent stimuler, donner de l’énergie et entraîner.

C’est bien d’une pédagogie dont il s’agit, c’est-à-dire à la fois d’une pratique et d’une théorie qui s’alimentent constamment et que nous partageons avec tous les acteurs concernés.

En pédagogie sociale, le Social est un art.

Laurent OTT