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A quoi sert la mémoire s'il n'y a pas de témoins?

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A quoi sert la mémoire s'il n'y a pas de témoins?
21 Avr 2024

A quoi sert la mémoire s'il n'y a pas de témoins?

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De la difficulté de transmettre en Pédagogie sociale

Les acteurs en Pédagogie sociale qui ont réussi à construire des actions,  créer des structures et des initiatives durables sur un territoire, se retrouvent confrontés à de nombreux paradoxes.

Tandis que leurs actions rencontrent toujours plus un public fidèle , souvent injoignable ou peu "perçu" par les structures classiques, tandis que ces mêmes actions font la preuve de leur valeur et de leur intérêt au point que ces mêmes structures classiques les sollicitent, tout ce qui a été bâti reste d'une fragilité extraordinaire.

Telle structure innovante, après vingt ans d'activité, un développement impressionnant (surtout quand on part de zéro) ne survit pas, ou décline considérablement après un changement de direction.

D'autres connaissent des phénomènes de prise de pouvoir via l'équipe des salariés, le Conseil d'administration, ou les municipalités.

Le paradoxe s'énonce ainsi: les structures en Pédagogie sociale sont convaincantes au point de servir quelques fois de modèles ou de vitrines; par l'intermédiaire des demandes de formation, les pratiques en pédagogie sociale sont à la fois réclamées par les acteurs et les décideurs.  Mais les actions, quant à elles, ne sont toujours pas soutenues.

C'est un peu comme s'il y avait quelque chose d'impossible à digérer et à assimiler dans la Pédagogie sociale. Ce n'est pas une action de plus, une démarche supplémentaire, qui pourrait être intégrée ou ajoutée à ce qui existe.  Le changement de paradigme se pose encore et encore de manière radicale.

Nous connaissons ce phénomène depuis la vie et l’œuvre des grands pédagogues sociaux; tandis que les Freinet ne sont jamais parvenus à articuler durablement leurs pratiques avec le fonctionnement et l'orientation de l’Éducation nationale,  il n'y a pas eu véritablement de succession pour les "Républiques d'enfants" de Korczak.

Tout se passe comme si la Pédagogie sociale ne pouvait se développer qu'à partir d'initiatives "habitées" par leurs promoteurs et qu'il est plus aisé que de nouvelles initiatives naissent ici ou là, plutôt que de faire vivre durablement des initiatives , même réussies.

A cela , de multiples raisons que nous pouvons analyser ici:

La dissuasion de la relève

Dans un premier temps, les difficultés, les barrières, les obstacles que rencontrent tous les porteurs d'actions innovantes en pédagogie sociale, constituent une barrière de dissuasion pour tous les proches impliqués.  Les difficultés auxquelles on assiste mais qu'on n'a pas levé personnellement , impressionnent.

Difficile de se sentir de taille; la peur de voir sa vie submergée au point de compromettre son temps privé vient s'ajouter à la peur de l'échec.

 

L'opacité des tâches de direction

De fait, la gestion des structures innovantes , en Pédagogie sociale, est bien plus complexe que pour toute structure classique. Il n'y a quasiment pas de financeur principal ou unique. En lieu et place, il n'y a que des montages financiers avec de multiples partenaires et une foule d'appels à projets perpétuellement à reconduire, argumenter , évaluer.

La somme des choses à connaître et à savoir est immense et le soutien d'une équipe administrative, difficile à financer. Car les ressources rares, sont avant tout destinées à l'action.

La gestion financière, à laquelle s'ajoute l'animation d'une équipe est vue de l'extérieur et aussi du point de vue de l'équipe elle-même,  comme une forme de jungle, dans laquelle s'enfoncent le directeur et ses rares soutiens.

Nulle part autant que dans le domaine de la Pédagogie sociale, la fonction de direction ne rime autant avec un ressenti de solitude et d'isolement; le paradoxe c'est que cette solitude se déploie dans un contexte surchargé de vie, d'initiatives foisonnantes, comme le connaissent toutes les structures de ce champ d'intervention.

La difficulté des dirigeants d'association et directeurs à rendre visible le travail qu'ils font car cela demanderait trop de temps, participe à un effet pervers au sein des équipes.  Ce que l'on ne voit pas , ne comprend pas, tend à ne pas exister.

Et du coup, pour qui travaille dans une telle structure, tout semble un peu "magique". D'où viennent tous les moyens, l'étonnante facilité avec laquelle on réalise en permanence des actions et événements si difficiles à accomplir dans une structure classique? Tout cela peut aussi paradoxalement paraître "facile" pour les acteurs de terrain.

Or , ce climat "de magie" fragilise également la fonction de direction. On peut même imaginer qu'on pourrait se passer d'une telle fonction. Il y  a une sorte d'illusion de l'autogestion possible qui peut favoriser la polarisation de l'équipe et de futures dissensions internes.

Le moment critique "de la sortie de l'eau".

C'est une des raisons pour lesquelles, beaucoup de structures en Pédagogie sociale connaissent des crises majeures,  non pas au "moment héroïque des pionniers", quand tout le monde constate les difficultés et obstacles, mais au contraire quand la structure a acquis une forme d'aisance; on élargit l'équipe. On lance de nouveaux projets motivants; tout cela rend d'un seul coup, la structure "intéressante", motivant d'éventuelles envies d'appropriation, que ce soit depuis le Conseil d'administration, les collectivités ou même, des membres de l'équipe.

La structure florissante semble constituer une forme de "pouvoir" que l'on peut convoiter sans prendre en compte tout le travail qu'il faut et qu'il a fallu pour en arriver là.

Dès lors qu'un pouvoir peut être perçu indépendamment du travail qu'il nécessite, les appétits s'aiguisent.

Le danger permanent de la conjonction des attaques.

C'est à ce moment là que peut intervenir le risque le plus redoutable pour les structures innovantes en Pédagogie sociale: la conjonction d'une attaque en interne, avec une attaque externe.

Tant que les attaques, les obstacles viennent de l'extérieur, de la part des collectivités et institutions, on est comme dans une forme de "routine". On a pris l'habitude de contourner, d'affirmer les actions par leur succès et leur impact évidents. On sait compenser les attaques de certaines institutions, par le soutien d'autres partenaires.

De même, si la crise est uniquement interne avec une tentative de déstabilisation de la direction par une fraction de l'équipe ou du Conseil d'administration, on peut gérer.  La légitimité "historique" des porteurs d'action peut venir à bout de ces "crises" dès lors qu'on s'est assez prémuni,  par exemple en ayant adopté des statuts associatifs qui protègent des tentatives de "prise de pouvoir", bien connues.

Il en va tout autrement quand les attaques se font écho et se mènent simultanément depuis l'intérieur et l'extérieur de la structure. Il y a alors un effet d'opportunité, chaque attaque trouvant à se renforcer à la faveur de l'autre.

La position de la direction est alors "critique", d'autant que la porte est ouverte pour des attaques "personnelles", ou "réputationnelles", car toutes les conditions en sont réunies.

L'aubaine est trop belle pour les collectivités qui trouvent à justifier a posteriori l'absence ou la faiblesse des soutiens qui étaient accordés. C'est comme si d'un seul coup, l'attitude agressive , passive ou active qui consistait à priver une structure dérangeante,  de tous les éléments de base comme les locaux ou la subvention,  était en réalité une attitude prudente qui venait à se vérifier.

Et voici comment on se débarrasse d'une expérience encombrante qui mettait trop en lumière les faiblesses des actions et des structures classiques.

Les formes éphémères d'une action durable

Si les actions en Pédagogie sociale, qui se constituent en structures organisées sont toujours en danger de disparaître, c'est aussi du fait des formes et compromissions administratives qu'elles sont obligées d'emprunter.  Qu'il s'agisse des formes administratives de Centre social, Espace de vie social, ou de simple association locale subventionnée, ces types d'organisation amènent à la fois du confort , de la continuité, ... comme de la fragilité liée à leurs statuts.

 Faut-il se décourager?

Ce lourd déterminisme des actions et expériences en Pédagogie sociale peut être réellement décourageant. A quoi bon avoir déplacé des montagnes si c'est pour en arriver là? Voilà comment on décourage un peu plus l'importance et la nécessité de changer de pratique sociales, culturelles, éducatives et sanitaires.

Les acteurs impliqués depuis le début, ceux qui doutaient le moins ne sont ils pas ici confrontés à l'inutilité de leur immense travail?

" A quoi sert, demandait-on à Célestin Freinet, d'habituer les enfants à la liberté et l'autonomie, si l'année suivante, ils se retrouvent dans une institution où tout cela leur sera impossible? Ne seront ils pas découragés? Est ce qu'on n'aura pas en définitive fait plus de mal que de bien?"

Comment ne pas se sentir désespéré vis à vis des publics qui sont abandonnés sur le bord du chemin, à chaque fois qu'une structure innovante, en Pédagogie sociale, ferme, ou perd son âme, suite à une telle crise?

Il est évident que l'on peut voir dans le phénomène décrit ici, une bonne explication du fait que des pratiques visiblement pertinentes, comme celles de la Pédagogie sociale, sont qualifiées "d'innovantes", plus d'un siècle après leur formulation.

Si l'on en reste au constat de la fragilité des structures et des actions,  tout cela est en effet bien décourageant, donnant raison aux cyniques et à ceux qui ne veulent rien faire.

Mais il y a peut être un autre sens à rechercher. Les actions innovantes en Pédagogie sociale sont frappées d'obsolescence parce que justement, elles ne peuvent pas s'institutionnaliser.  Et c'est peut être aussi leur principale vertu, ce qui les rend toujours plus nécessaires, indispensables et fondamentales.

Elles ne prennent pas une ride,  malgré leurs années, constituant toujours et encore un enjeu d'urgence et d'actualité.

Certes , les structures disparaîtront, avec le peu de murs qui les protégeaient (mal) , mais par contre les moments vécus, les destins transformés donneront lieu encore et toujours à de nouvelles initiatives.

Une affaire de témoins

La transmission, en Pédagogie sociale n'est pas institutionnelle; ce n'est ni une affaire de nomination, de succession, ni de passage de relais.  Ce sont les témoins, les bénéficiaires, les acteurs qui ont été à un titre ou à un autre impliqués dans l'action elle-même, ceux dont la vie a été peu ou prou transformée par l'expérience vécue, qui seront à même d'inventer de nombreuses suites originales.

Celles ci prendront des formes diverses en fonction des contextes et des aspirations de chacun. Pour autant, on y retrouvera certainement les composantes de base de la Pédagogie sociale: inconditionnalité, appropriation du moment et absence de cloisonnements.

C'est le mode de "transmission par les témoins".

Et cela est aussi un invariant.

 

 

 

 

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